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*A Berlin, la fronde des anti-Google*
 
  
*La volonté du géant du Net d’installer un « campus » destiné aux start-up au cœur d’un quartier populaire et alternatif suscite la colère de certains habitants.*
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La volonté du géant du Net d’installer un « campus » destiné aux start-up au cœur d’un quartier populaire et alternatif suscite la colère de certains habitants.'''
  
 
Le Monde Economie | 24.04.2018 à 17h00 • Mis à jour le 25.04.2018 à 10h43
 
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Par *Yves Eudes* (Berlin, envoyé spécial)
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Par '''*Yves Eudes*''' (Berlin, envoyé spécial)
  
  
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complicité des locataires, déploie une banderole anti-Google et tire un feu d’artifice. Au bout d’une heure, les manifestants, épuisés, se replient dans les bars du quartier.
 
complicité des locataires, déploie une banderole anti-Google et tire un feu d’artifice. Au bout d’une heure, les manifestants, épuisés, se replient dans les bars du quartier.
  
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Pourtant, en apparence, tout avait bien commencé. En Allemagne, le groupe possède déjà des bureaux à Hambourg, à Munich et dans un autre quartier
 
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incite les adolescents à se lancer dans la création d’entreprise, et Google a promis de m’aider. »*
 
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*Un quartier en souffrance*
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Derrière son image attrayante, Kreuzberg est aussi un quartier en souffrance, traversé par une série de conflits qui se concentrent
 
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(« notre », en turc, « quartier », en allemand), a été fondée en 2015 pour empêcher la fermeture d’une petite épicerie. Depuis, elle a mené plusieurs opérations similaires, avec des succès variables*.*
 
(« notre », en turc, « quartier », en allemand), a été fondée en 2015 pour empêcher la fermeture d’une petite épicerie. Depuis, elle a mené plusieurs opérations similaires, avec des succès variables*.*
  
*« MÊME S’ILS RÉUSSISSENT À S’INSTALLER, NOUS LEUR RENDRONS LA VIE IMPOSSIBLE, NOUS ALLONS POURRIR LEUR IMAGE »*
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Pour combattre Google, elle s’est alliée au groupe GloReiche (locataires des rues Glogauer et Reichenberger), créé à l’origine pour défendre une
 
Pour combattre Google, elle s’est alliée au groupe GloReiche (locataires des rues Glogauer et Reichenberger), créé à l’origine pour défendre une
pâtisserie, et à Lause Bleibt (« Lause persiste »), nébuleuse d’associations et d’ONG autour de la rue Lausitzer. Leur slogan est simple : «* Google n’est pas un bon voisin ! »*
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pâtisserie, et à Lause Bleibt (« Lause persiste »), nébuleuse d’associations et d’ONG autour de la rue Lausitzer. Leur slogan est simple : « '''''Google n’est pas un bon voisin !''''' »
  
Le cofondateur de Bizim Kiez, Konstantin (les personnes citées dont le nom de famille n’apparaît pas ont souhaité garder l’anonymat), 31 ans, étudiant et employé d’une société d’aide aux personnes dépendantes, a été choisi comme porte-parole de l’alliance *: « Google n’a pas choisi Kreuzberg par hasard, ils veulent capter notre créativité et notre esprit d’innovation, pour les confisquer à leur profit. Mais ils ont sous-estimé notre capacité d’organisation et de résistance. Même s’ils réussissent à s’installer, nous leur rendrons la vie impossible, nous allons pourrir leur image. »*
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Le cofondateur de Bizim Kiez, Konstantin (les personnes citées dont le nom de famille n’apparaît pas ont souhaité garder l’anonymat), 31 ans, étudiant et employé d’une société d’aide aux personnes dépendantes, a été choisi comme porte-parole de l’alliance '': « Google n’a pas choisi Kreuzberg par hasard, ils veulent capter notre créativité et notre esprit d’innovation, pour les confisquer à leur profit. Mais ils ont sous-estimé notre capacité d’organisation et de résistance. Même s’ils réussissent à s’installer, nous leur rendrons la vie impossible, nous allons pourrir leur image. »''
  
  
*« C’est presque une ZAD urbaine »*
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Pour mobiliser la population, les associations multiplient les « réunions anti-Google » dans les centres culturels, les bibliothèques, les clubs de quartier. De temps à autre, elles s’appuient sur les groupes anti-expulsion spécialistes des occupations et des sit-in, et sur les parents d’élèves des écoles maternelles autogérées, menacées par les hausses de loyer.
 
Pour mobiliser la population, les associations multiplient les « réunions anti-Google » dans les centres culturels, les bibliothèques, les clubs de quartier. De temps à autre, elles s’appuient sur les groupes anti-expulsion spécialistes des occupations et des sit-in, et sur les parents d’élèves des écoles maternelles autogérées, menacées par les hausses de loyer.
  
 
La gentrification inquiète aussi les expatriés amoureux de Kreuzberg. Une Texane arrivée depuis peu, qui se fait appeler « Prismaven », milite
 
La gentrification inquiète aussi les expatriés amoureux de Kreuzberg. Une Texane arrivée depuis peu, qui se fait appeler « Prismaven », milite
presque à plein-temps contre Google :* « J’ai quitté Austin, car la vie y est devenue trop chère à cause de l’installation de sociétés high-tech,
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presque à plein-temps contre Google :'' « J’ai quitté Austin, car la vie y est devenue trop chère à cause de l’installation de sociétés high-tech,
 
notamment Google. En fait, ma ville a été envahie par des travailleurs précaires californiens chassés de San Francisco par la gentrification
 
notamment Google. En fait, ma ville a été envahie par des travailleurs précaires californiens chassés de San Francisco par la gentrification
effrénée qui sévit là-bas. » *Or elle découvre que ce scénario se répète : *« Il faut tout faire pour que Berlin ne subisse pas le sort de San Francisco, qui a perdu son âme à cause des nouveaux riches de la Silicon Valley. »*
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effrénée qui sévit là-bas. » ''Or elle découvre que ce scénario se répète : ''« Il faut tout faire pour que Berlin ne subisse pas le sort de San Francisco, qui a perdu son âme à cause des nouveaux riches de la Silicon Valley. »''
  
De même, Cyrille, un Parisien séjournant à Kreuzberg pour quelques mois, a rejoint le mouvement. Militant vert aguerri, il a bon espoir de voir les anti-Google l’emporter : *« Je suis impressionné par le maillage militant qui structure ce quartier. C’est presque une ZAD urbaine, avec un mode de vie à part. Google à Kreuzberg, c’est un peu comme un aéroport à Notre-Dame-des-Landes : on nous dit que la modernisation est inévitable, et puis, non, pas toujours. »*
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De même, Cyrille, un Parisien séjournant à Kreuzberg pour quelques mois, a rejoint le mouvement. Militant vert aguerri, il a bon espoir de voir les anti-Google l’emporter : ''« Je suis impressionné par le maillage militant qui structure ce quartier. C’est presque une ZAD urbaine, avec un mode de vie à part. Google à Kreuzberg, c’est un peu comme un aéroport à Notre-Dame-des-Landes : on nous dit que la modernisation est inévitable, et puis, non, pas toujours. »''
  
 
En quelques années, Berlin est devenue le point de ralliement de militants américains et européens de l’Internet libre, geeks et hackeurs plus ou
 
En quelques années, Berlin est devenue le point de ralliement de militants américains et européens de l’Internet libre, geeks et hackeurs plus ou
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*L’image des géants du Net change dans l’opinion*
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Grâce à leur sur son propre terrain, l’Internet. A., un Français installé à Kreuzberg qui souhaite rester anonyme, cherche à donner à la bataille une dimension planétaire : *« Je veux inciter les habitants à voir au-delà du problème de gentrification et à réfléchir au rôle de Google dans la société, à faire le lien entre le local et le global. »*
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Grâce à leur sur son propre terrain, l’Internet. A., un Français installé à Kreuzberg qui souhaite rester anonyme, cherche à donner à la bataille une dimension planétaire : ''« Je veux inciter les habitants à voir au-delà du problème de gentrification et à réfléchir au rôle de Google dans la société, à faire le lien entre le local et le global. »''
  
 
Après avoir prêché dans le désert pendant des années, les militants libertaires ont le sentiment qu’une brèche est en train de s’ouvrir, car
 
Après avoir prêché dans le désert pendant des années, les militants libertaires ont le sentiment qu’une brèche est en train de s’ouvrir, car
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Avec une vingtaine de volontaires recrutés à Kreuzberg et sur le Net, A. a créé un site collaboratif à l’intitulé explicite, « Fuck off Google », qui s’est imposé comme le média de référence pour centraliser l’information sur la campagne et publier le calendrier des événements.
 
Avec une vingtaine de volontaires recrutés à Kreuzberg et sur le Net, A. a créé un site collaboratif à l’intitulé explicite, « Fuck off Google », qui s’est imposé comme le média de référence pour centraliser l’information sur la campagne et publier le calendrier des événements.
  
De son côté, Claudio, un informaticien italien vivant à Berlin, a lancé une opération en franc-tireur : *« J’ai recensé les sites Web des PME et des commerces proches d’Umspannwerk, je les ai analysés et j’ai fait la liste de ceux qui utilisent des logiciels de Google. » *Dans un second temps, il souhaite leur suggérer de les remplacer par des logiciels libres dotés de fonctions similaires : *« L’idée est d’attaquer Google là où ça fait mal, son business model. »*
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De son côté, Claudio, un informaticien italien vivant à Berlin, a lancé une opération en franc-tireur : ''« J’ai recensé les sites Web des PME et des commerces proches d’Umspannwerk, je les ai analysés et j’ai fait la liste de ceux qui utilisent des logiciels de Google. »'' Dans un second temps, il souhaite leur suggérer de les remplacer par des logiciels libres dotés de fonctions similaires : ''« L’idée est d’attaquer Google là où ça fait mal, son business model. »
 
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Claudio pourrait s’allier avec A. le Français, qui rêve aussi d’organiser à Kreuzberg des ateliers de « dégooglisation », où l’on ferait découvrir au public des alternatives *« libres »* à tous les services de Google – recherche, courrier, cartes, documents partagés, traduction, plates-formes
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Claudio pourrait s’allier avec A. le Français, qui rêve aussi d’organiser à Kreuzberg des ateliers de « dégooglisation », où l’on ferait découvrir au public des alternatives ''« libres »'' à tous les services de Google – recherche, courrier, cartes, documents partagés, traduction, plates-formes
 
vidéo…
 
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*« Plus de surveillance et de contrôle social »*
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Par ailleurs, l’extrême gauche classique profite du mouvement pour mener une critique générale des entreprises numériques – précarité extrême,
 
Par ailleurs, l’extrême gauche classique profite du mouvement pour mener une critique générale des entreprises numériques – précarité extrême,
 
salaires très bas, stages à répétition, hiérarchie très verticale malgré les apparences, cadences infernales… Alex et Janus, deux étudiants de 26
 
salaires très bas, stages à répétition, hiérarchie très verticale malgré les apparences, cadences infernales… Alex et Janus, deux étudiants de 26
 
ans, militants du groupe gauchiste Theorie, Organisation, Praxis (TOP), ont compris l’intérêt stratégique de se fondre dans les luttes locales :
 
ans, militants du groupe gauchiste Theorie, Organisation, Praxis (TOP), ont compris l’intérêt stratégique de se fondre dans les luttes locales :
*« Désormais*, assurent-ils, *notre priorité sera la bataille contre le nouveau capitalisme numérique. »* Ils critiquent notamment les grands
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''« Désormais,'' assurent-ils, ''notre priorité sera la bataille contre le nouveau capitalisme numérique. »'' Ils critiquent notamment les grands
 
expertise, les geeks libertaires attaquent le géant américain projets de smart cities, qui visent à remodeler les villes pour en faire
 
expertise, les geeks libertaires attaquent le géant américain projets de smart cities, qui visent à remodeler les villes pour en faire
des cités numériques hyperconnectées et hypersécurisées : *« Les smart cities ne créeront pas plus d’égalité ni de liberté, seulement plus de
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des cités numériques hyperconnectées et hypersécurisées : ''« Les smart cities ne créeront pas plus d’égalité ni de liberté, seulement plus de
surveillance et de contrôle social. »*
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Google possède déjà une filiale baptisée Sidewalk Labs, qui élabore des projets d’urbanisme ambitieux pour des villes comme Toronto. Pour
 
Google possède déjà une filiale baptisée Sidewalk Labs, qui élabore des projets d’urbanisme ambitieux pour des villes comme Toronto. Pour
Kreuzberg, TOP a décidé d’être constructif, en proposant un « contre-campus » : *« En 2017, un centre culturel situé près d’Umspannwerk
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Kreuzberg, TOP a décidé d’être constructif, en proposant un « contre-campus » : ''« En 2017, un centre culturel situé près d’Umspannwerk
a été expulsé et a dû fermer. Nous demandons qu’il s’installe dans le bâtiment rénové à la place de Google. »*
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a été expulsé et a dû fermer. Nous demandons qu’il s’installe dans le bâtiment rénové à la place de Google. »''
  
 
Pendant ce temps, dans Umspannwerk, les travaux commandés par Google avancent. Le chef de chantier explique que le campus aura trois niveaux, et
 
Pendant ce temps, dans Umspannwerk, les travaux commandés par Google avancent. Le chef de chantier explique que le campus aura trois niveaux, et
 
qu’il sera superbe, confortable et ultramoderne. Il affirme que ses équipes auront terminé vers la fin juillet, pour une ouverture au public en
 
qu’il sera superbe, confortable et ultramoderne. Il affirme que ses équipes auront terminé vers la fin juillet, pour une ouverture au public en
 
septembre. A moins que les trublions du quartier ne viennent gâcher la fête.
 
septembre. A moins que les trublions du quartier ne viennent gâcher la fête.

Latest revision as of 15:55, 25 April 2018

A Berlin, la fronde des anti-Google

La volonté du géant du Net d’installer un « campus » destiné aux start-up au cœur d’un quartier populaire et alternatif suscite la colère de certains habitants.

Le Monde Economie | 24.04.2018 à 17h00 • Mis à jour le 25.04.2018 à 10h43

Par *Yves Eudes* (Berlin, envoyé spécial)


Berlin, quartier de Kreuzberg. Sur le quai longeant le canal Landwehr, l’ancienne station électrique Umspannwerk, un vaste bâtiment en brique dominant le quartier, abrite désormais une dizaine de petites entreprises, un restaurant chic et un bar à cocktails. L’édifice est en partie vide, mais cela ne va pas durer, car Google a loué une aile de 3 000 mètres carrés pour installer un « campus », lieu consacré aux rencontres, aux événements et à la formation professionnelle dans le secteur du numérique.

D’ordinaire, le quai est très calme, mais, en cette soirée printanière, le vacarme est assourdissant. Ce 6 avril, comme chaque premier vendredi du mois depuis cet hiver, une centaine de manifestants ont apporté des tambours, des casseroles, des bidons et des trompettes pour un concert de rue endiablé.

L’objectif est de faire le plus de bruit possible, de protester, sur un mode festif, contre l’arrivée du géant américain à Kreuzberg. La manifestation, non autorisée, a été annoncée sur le Web, sur les réseaux sociaux et par des affiches, venues s’ajouter aux graffitis et banderoles hostiles à Google, ornant les murs, les vitrines, les fenêtres et l’intérieur des bars et restaurants. La police confine les manifestants sur un bout de trottoir et ceux qui tentent de former un cortège sont refoulés. Mais un groupe installé sur le toit d’un immeuble voisin, avec la complicité des locataires, déploie une banderole anti-Google et tire un feu d’artifice. Au bout d’une heure, les manifestants, épuisés, se replient dans les bars du quartier.

« Soutenir les start-up sans en prendre le contrôle »

Pourtant, en apparence, tout avait bien commencé. En Allemagne, le groupe possède déjà des bureaux à Hambourg, à Munich et dans un autre quartier berlinois et travaille en partenariat avec Factory, un incubateur de start-up. Fin 2016, il annonce qu’il va construire à Kreuzberg un campus comme il en possède déjà à Madrid, à Londres, à Varsovie, à Tel-Aviv, à Sao Paulo et à Séoul.


Le projet sera géré par Google for Entrepreneurs*,* un département à but non lucratif mis en place pour aider les jeunes créateurs de start-up. Son responsable, Rowan Barnett, un Britannique installé à Berlin, insiste sur l’aspect désintéressé de la démarche : *« Pour nous, un campus représente une dépense, pas un centre de profit. Il soutiendra les start-up berlinoises sans en prendre le contrôle. Il comptera au maximum une dizaine d’employés ; notre présence ne va pas bouleverser la vie du quartier. » *Tout au plus reconnaît-il qu’en développant l’économie numérique, Google favorise ses intérêts à long terme.

Kreuzberg semblait un choix naturel : un secteur multiculturel doté d’une forte communauté turque, à la fois populaire et créatif, prisé par les artistes et les intellectuels. Tout en restant un bastion de la gauche alternative et écologiste, il accueille déjà de nombreuses start-up high-tech. D’emblée, le projet reçoit le soutien du maire social-démocrate, Michael Müller, de la majorité des élus locaux et de Berlin Partner, l’agence publique chargée d’attirer les investisseurs, qui rêve de faire de sa ville la « Silicon Valley allemande ».

L’arrivée du campus est aussi une bonne nouvelle pour les start-up comme Yeay, plate-forme de vidéos amateurs axée sur la promotion d’articles de mode pour ados, dont les bureaux sont à 400 mètres d’Umspannwerk. Sa patronne, Melanie Mohr, est enthousiaste : *« Les gens de Google ont fait le tour des entreprises du voisinage et organisé des réunions d’information. Ils nous ont expliqué leur projet, je pense que leur campus nous sera utile. Je crois aussi qu’ils ont bien perçu l’esprit de Kreuzberg, ils sauront s’intégrer. En plus, je gère une association qui incite les adolescents à se lancer dans la création d’entreprise, et Google a promis de m’aider. »*

Un quartier en souffrance

Derrière son image attrayante, Kreuzberg est aussi un quartier en souffrance, traversé par une série de conflits qui se concentrent aujourd’hui sur Google. Les premiers à réagir contre le projet ont été les associations de locataires, en lutte contre la gentrification – rachat d’immeubles par des spéculateurs internationaux, hausse des loyers, expulsions de familles modestes, fermeture des commerces de proximité remplacés par des magasins haut de gamme, installation d’une population plus aisée et plus conformiste…

Pour ces locataires en colère, l’arrivée de Google et des startupeurs attirés par le campus va aggraver les choses. L’association Bizim Kiez (« notre », en turc, « quartier », en allemand), a été fondée en 2015 pour empêcher la fermeture d’une petite épicerie. Depuis, elle a mené plusieurs opérations similaires, avec des succès variables*.*

« MÊME S’ILS RÉUSSISSENT À S’INSTALLER, NOUS LEUR RENDRONS LA VIE IMPOSSIBLE, NOUS ALLONS POURRIR LEUR IMAGE »

Pour combattre Google, elle s’est alliée au groupe GloReiche (locataires des rues Glogauer et Reichenberger), créé à l’origine pour défendre une pâtisserie, et à Lause Bleibt (« Lause persiste »), nébuleuse d’associations et d’ONG autour de la rue Lausitzer. Leur slogan est simple : « Google n’est pas un bon voisin ! »

Le cofondateur de Bizim Kiez, Konstantin (les personnes citées dont le nom de famille n’apparaît pas ont souhaité garder l’anonymat), 31 ans, étudiant et employé d’une société d’aide aux personnes dépendantes, a été choisi comme porte-parole de l’alliance : « Google n’a pas choisi Kreuzberg par hasard, ils veulent capter notre créativité et notre esprit d’innovation, pour les confisquer à leur profit. Mais ils ont sous-estimé notre capacité d’organisation et de résistance. Même s’ils réussissent à s’installer, nous leur rendrons la vie impossible, nous allons pourrir leur image. »


« C’est presque une ZAD urbaine »

Pour mobiliser la population, les associations multiplient les « réunions anti-Google » dans les centres culturels, les bibliothèques, les clubs de quartier. De temps à autre, elles s’appuient sur les groupes anti-expulsion spécialistes des occupations et des sit-in, et sur les parents d’élèves des écoles maternelles autogérées, menacées par les hausses de loyer.

La gentrification inquiète aussi les expatriés amoureux de Kreuzberg. Une Texane arrivée depuis peu, qui se fait appeler « Prismaven », milite presque à plein-temps contre Google : « J’ai quitté Austin, car la vie y est devenue trop chère à cause de l’installation de sociétés high-tech, notamment Google. En fait, ma ville a été envahie par des travailleurs précaires californiens chassés de San Francisco par la gentrification effrénée qui sévit là-bas. » Or elle découvre que ce scénario se répète : « Il faut tout faire pour que Berlin ne subisse pas le sort de San Francisco, qui a perdu son âme à cause des nouveaux riches de la Silicon Valley. »

De même, Cyrille, un Parisien séjournant à Kreuzberg pour quelques mois, a rejoint le mouvement. Militant vert aguerri, il a bon espoir de voir les anti-Google l’emporter : « Je suis impressionné par le maillage militant qui structure ce quartier. C’est presque une ZAD urbaine, avec un mode de vie à part. Google à Kreuzberg, c’est un peu comme un aéroport à Notre-Dame-des-Landes : on nous dit que la modernisation est inévitable, et puis, non, pas toujours. »

En quelques années, Berlin est devenue le point de ralliement de militants américains et européens de l’Internet libre, geeks et hackeurs plus ou moins proches de l’ONG fondée par Julian Assange <https://fr.wikipedia.org/wiki/Julian_Assange>, WikiLeaks, du lanceur d’alerte Edward Snowden et du Chaos Computer Club, la grande association des hackeurs allemands.

Pour eux, Google est l’ennemi absolu : en collectant, puis en croisant, les données de milliards d’utilisateurs avec ses nombreuses applications, il crée, selon eux, une société de surveillance intégrale ; il s’est mis au service des services de renseignement américains pour espionner la terre entière ; il censure les contenus de sa filiale YouTube pour plaire à Hollywood ; il nous prépare un avenir cauchemardesque fondé sur la gouvernance algorithmique et la fusion homme-machine ; et, pour couronner le tout, c’est un champion de l’évasion fiscale.


L’image des géants du Net change dans l’opinion

Grâce à leur sur son propre terrain, l’Internet. A., un Français installé à Kreuzberg qui souhaite rester anonyme, cherche à donner à la bataille une dimension planétaire : « Je veux inciter les habitants à voir au-delà du problème de gentrification et à réfléchir au rôle de Google dans la société, à faire le lien entre le local et le global. »

Après avoir prêché dans le désert pendant des années, les militants libertaires ont le sentiment qu’une brèche est en train de s’ouvrir, car l’image des géants du Net change dans l’opinion publique : ils sont moins perçus comme des forces d’innovation et de libération, et de plus en plus comme des multinationales « classiques », cupides et dominatrices.

Avec une vingtaine de volontaires recrutés à Kreuzberg et sur le Net, A. a créé un site collaboratif à l’intitulé explicite, « Fuck off Google », qui s’est imposé comme le média de référence pour centraliser l’information sur la campagne et publier le calendrier des événements.

De son côté, Claudio, un informaticien italien vivant à Berlin, a lancé une opération en franc-tireur : « J’ai recensé les sites Web des PME et des commerces proches d’Umspannwerk, je les ai analysés et j’ai fait la liste de ceux qui utilisent des logiciels de Google. » Dans un second temps, il souhaite leur suggérer de les remplacer par des logiciels libres dotés de fonctions similaires : « L’idée est d’attaquer Google là où ça fait mal, son business model. » Claudio pourrait s’allier avec A. le Français, qui rêve aussi d’organiser à Kreuzberg des ateliers de « dégooglisation », où l’on ferait découvrir au public des alternatives « libres » à tous les services de Google – recherche, courrier, cartes, documents partagés, traduction, plates-formes vidéo…

« Plus de surveillance et de contrôle social »

Par ailleurs, l’extrême gauche classique profite du mouvement pour mener une critique générale des entreprises numériques – précarité extrême, salaires très bas, stages à répétition, hiérarchie très verticale malgré les apparences, cadences infernales… Alex et Janus, deux étudiants de 26 ans, militants du groupe gauchiste Theorie, Organisation, Praxis (TOP), ont compris l’intérêt stratégique de se fondre dans les luttes locales : « Désormais, assurent-ils, notre priorité sera la bataille contre le nouveau capitalisme numérique. » Ils critiquent notamment les grands expertise, les geeks libertaires attaquent le géant américain projets de smart cities, qui visent à remodeler les villes pour en faire des cités numériques hyperconnectées et hypersécurisées : « Les smart cities ne créeront pas plus d’égalité ni de liberté, seulement plus de surveillance et de contrôle social. »

Google possède déjà une filiale baptisée Sidewalk Labs, qui élabore des projets d’urbanisme ambitieux pour des villes comme Toronto. Pour Kreuzberg, TOP a décidé d’être constructif, en proposant un « contre-campus » : « En 2017, un centre culturel situé près d’Umspannwerk a été expulsé et a dû fermer. Nous demandons qu’il s’installe dans le bâtiment rénové à la place de Google. »

Pendant ce temps, dans Umspannwerk, les travaux commandés par Google avancent. Le chef de chantier explique que le campus aura trois niveaux, et qu’il sera superbe, confortable et ultramoderne. Il affirme que ses équipes auront terminé vers la fin juillet, pour une ouverture au public en septembre. A moins que les trublions du quartier ne viennent gâcher la fête.

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